Mais alors là, pas du tout.
Quand je vois tous les articles des blogueuses parlant de leurs animaux, y a pas à dire, je suis émue. Vraiment émue. je les aime systématiquement, je les lis jusqu'au bout (alors que souvent, ils sont très longs), et je me surprends à vouloir donner n'importe quoi pour n'avoir ne serait-ce que le quart de l'attention de ces jeunes femmes avec leurs petites bêtes.
J'aime les animaux, il n'y a pas à dire. Les chats ont tendance à moins m'apprécier, mais généralement, c'est surtout avec les chevaux que j'ai un bon feeling.
Mais voilà, j'ai été une sale pute avec eux.
Quand j'étais petite, j'ai eu trois hamsters. Chacun remplaçant le précédent à sa mort. Il y a eu Chatouilli (et je me demande encore comment j'arrive à me rappeler son prénom). On l'a retrouvé pendu dans le petit tunnel en barreaux qui servait à monter au second étage de la cage. Mon père nous a expliqué que durant la nuit, il avait dû glisser lorsqu'il montait, passer entre deux barreaux, et sa tête avait dû rester coincée.
Et je peux vous jurer que quand j'y repense, je frissonne. Et quand je vois des photos de cages pour rongeur avec un tunnel en barreaux, je ne peux m'empêcher de me dire "faudrait interdire ces trucs".
Ensuite, il y a eu Lilo. Deuxième hamster, je devais alors avoir 6 ans. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de cette période de ma vie (et encore moins de celle passée avec Chatouilli, vous en conviendrez), mais encore une fois, je n'ai jamais pris cet hamster dans mes bras. Evidemment, elle a mordu très vite, et il n'était plus question de l'éduquer.
Lorsqu'elle est morte, j'étais un peu sonnée. Et ce n'est que plusieurs années plus tard que je me suis rappelée d'elle et que je me suis mise à pleurer. Et personne n'a compris pourquoi, j'ai dû avoir l'air bien conne.
Le troisième, ce fut Aramis. Cette fois-ci, pas question de me faire avoir, je l'ai tenu dans mes mains cinq bonnes minutes. Lorsqu'il m'a pincée, je l'ai lâché, par surprise, et il est tombé sur mes genoux. Je l'ai vite repris en main pour le remettre dans la cage en m'excusant. Le lendemain, je l'ai repris en main. Et le surlendemain aussi.
Bref, Aramis, il était tendre comme un agneau (un peu comme Docteur Renaud, tu vois) et c'était trop mon pote.
Mais j'avais horreur de m'occuper de lui, de changer sa cage. Changer cette cage, c'était le calvaire parmi les calvaire, c'était ma punition, c'était ma corvée, j'avais horreur de ça.
Figurez-vous que lorsqu'après 4 ans de vie, je l'ai retrouvé mort, j'ai souri.
Parce que je n'aurais plus à changer sa cage.
J'avais 11 ans, et ce jour-là, je me suis haïe. Et quand je repense, je me hais toujours. Mais qu'est-ce que c'était que cette logique? C'était Aramis, il t'aimait bien, il était cool, il avait 4 ans et il est mort. Et toi, tu ne penses qu'à sa cage que tu n'aurais plus à changer.
Bête fille.
Si seulement ça pouvait s'arrêter là.
Mais non. Figurez-vous que l'année précédente, j'avais voulu un chat.
Des semaines et des semaines, j'ai tanné ma mère, qui n'en voulait pas du tout. Mais ces animaux ont ajouté un point dans mon caractère: Persuasive. J'étais persuasive.
J'ai dressé la liste des avantages et inconvénients à avoir un chat. Pour ma mère, l'unique inconvénient était qu'un chat, ça salissait. Penses-tu bien qu'avec mon argument "Le chat est l'animal le plus propre", son argument s'est vu dégommé en quelques secondes. Non, j'avoue, j'ai dû un peu insister.
Bref, le 9 novembre 2006, on a été chercher Bess.
Bess, 3 mois, scotish fold bleu, magnifique bestiole.
Je me souviens qu'elle pleurait dans la voiture, chose hautement compréhensible, et qu'une fois à la maison, elle a couru se cacher derrière le baffle de la radio. Aussitôt, mon père a débranché celui-ci, pour éviter d'appuyer sur "play", une fois, par réflexe, et que la petite déjà suffisamment traumatisée ne meure d'une crise cardiaque. Elle a pas bougé de la soirée, faisant dépasser sa tête de temps à autre, mais rien de plus.
Le lendemain matin, elle n'avait pas bougé. Je suis partie à l'école, et on m'a expliqué que l'après-midi, je pourrais rester seule à la maison avec elle, histoire de faire un peu connaissance avant que ma soeur ne rentre de son cours de solfège et que mon père ne revienne du travail.
J'ai donc été la voir, elle est tout de suite sortie de derrière le baffle pour faire connaissance. Je me souviens ne pas l'avoir "lâchée", sauf une fois le soir arrivé. Je m'ennuyais, j'ai ouvert un bouquin, elle est tout de suite montée sur mes genoux et a commencé à mordiller les pages du livre. Sauf que ça le ravageait, et ça, je n'aimais pas. Chaque fois, je la reposais par terre, mais elle remontait sur le canapé pour continuer sa besogne.
Lassée, je me suis levée et me suis adossée au mur pour continuer ma lecture.
Elle m'a vite rejoint et s'est mise debout, posant ses deux pattes contre le mur pour se maintenir en équilibre.
J'y pense, je ne lui ai pas accordé assez d'attention ce soir-là, alors que c'était tout ce qu'elle demandait. Une amie, quoi.
Je me souviens, après quelques minutes, ne la voyant plus, je suis partie dans la cuisine voir si elle s'y trouvait. Je suis entrée juste à temps pour la voir disparaître dans un tuyau du plan de travail.
FRAYEUR ULTIME!
Je l'appelle, je me mets à genoux devant le trou de l'armoire, j'attends quelques secondes, et je fini par sortir dehors, persuadée que ce tunnel menait à l'allée menant au jardin. Si elle était sortie, elle allait se perdre, aucun doute là-dessus.
Ne la trouvant pas, je cours sonner chez le voisin pour qu'il m'aide à la chercher. J'essaie de lui expliquer par où elle s'était "enfuie", et il me demande de lui montrer. Alors qu'on entrait chez moi, elle est venue tout naturellement à notre rencontre.
Je ne vous dit pas comment j'étais soulagée! Le voisin a vite compris à quel point j'avais eu peur et ne m'en a pas voulu de l'avoir fait venir pour rien.
On a découvert plus tard que ce "tunnel" menait en fait sous le plan de travail, où il y avait un large espace d'une quinzaine de centimètres caché par une planche de bois. Ça a été sa cachette pendant une bonne année, avant qu'on ne rebouche le trou de peur qu'elle finisse coincée.
Bess, je ne me suis jamais assez occupée d'elle. C'était souvent quelqu'un d'autre qui la nourrissait, et son bac, je le changeais de plus en plus rarement.
Maintenant, elle vit chez mon père, qu'elle aime énormément, et qui s'occupe d'elle comme si sa vie en dépendait.
Heureusement qu'il était là pour rattraper mon erreur.
Sauf que maintenant, Bess est un chat complètement autiste, voire dépressif, et je n'arrive pas à me défaire de l'idée que c'est sans doute ma faute.
T'as cru que ça me suffirait pour comprendre que m'occuper d'un animal, c'était un truc dont j'étais incapable?
T'y as cru?
Ben pas moi.
Figure-toi que cela faisait plusieurs années que je faisais du cheval.
OUI, JE TE JURE, J'AI ÉTÉ JUSQUE LA!
Putain.
Voilà, Liberty, c'était le Calimero du centre équestre. Elle n'aimait personne et personne ne l'aimait.
Et bien sûr, tu sais très bien, dans tous les films c'est comme ça, moi, je la kiffais, et elle me le rendait bien.
Et maintenant, il m'arrive souvent de me demander si elle m'a pardonnée.
Placement de cadre: Liberty était donc un cheval du centre, elle avait peur de tout, elle bottait tous les chevaux qu'elle croisait à moins de 5 mètres, et en reprise, on la mettait toujours derrière (sauf si le type avait envie de garder une distance de 5 mètres, bien évidemment). Et comme c'était une grosse casse-couilles, ils ont décidé de la vendre.
J'ai pas supporté. Je faisais des crises de larme tous les soirs, et fatalement, j'ai commencé à user mes parents. De tous côtés, avec toutes les excuses et les mensonges imaginables. Enfin...le coup du "s'ils arrivent pas à la vendre, elle ira à l'abattoir" était sans doute une connerie de petite garce de 12 ans que j'ai salement cru, encore une fois (y avait beaucoup de petites garces de 12 ans dans ce centre équestre, vous savez pas à quel point). Un demi-mensonge, donc.
Bref, un mois plus tard, nous étions en vacance en France, en campagne, bref, toussa toussa. J'ai eu, nous allons dire, une énorme déception durant ces trois jours (oserais-je vous en dire l'objet? Allez, oui. Randonnée équestre annulée 5 minutes avant le départ-même) (j'ai la larme ultra-facile), et pour me consoler, mes parents ont eu l'idée du siècle que même maintenant, j'ai encore envie de les frapper avec les écouteurs de mon Ipod trempés dans de l'eau bouillante.
Nous étions au bowling, et je vois ma mère s'éloigner et passer un bien long coup de fil. Qui a duré toute la partie, en fait.
Le soir-même, au resto...
"Anaïs, nous...nous avons décidé, en te voyant si triste cet après-midi [JE M'EN SERAIS REMISE, JE T'ASSURE], de...te faire...un gros cadeau, nous allons dire.
-...?
-Ta mère a téléphoné à Horse Paradise pendant que nous faisions du Bowling et...on a acheté Liberty".
PARDON?
PARDON PARDON PARDON?
[Oui, Pardon?]
Liberty restait donc en pension au centre, et j'allais la voir tous les jours pour la monter et m'occuper d'elle.
Sinon, elle était sortie au pré toute la journée et nourrie. Moi, j'étais l'exercice et le pansage (et l'Amour, ho ho ho).
Tu penses bien que mon principal trait de caractère de mothafuckin' de merde est vite revenu.
La flemme.
Yeah.
Putain.
Pardon.
Mes visites se sont espacées. Et quand j'y étais, c'était l'enfer. Comme je l'ai dit un peu plus haut, la population fréquentant ce centre équestre était intégralement constitué de petites pimbêches que j'ai envie de buter chaque fois que je pense à elle (oui, y avait des gens gentils, dans le tas, mais rien à f...).
Elles critiquaient chacun de mes gestes.
Montaient Liberty quand je n'étais pas là (oui...).
Une fois, quelqu'un avait mis une annonce à l'entrée du manège. Quelqu'un avait arraché tous les petits papiers avec le numéro de téléphone et les avaient jeté...oui, dans le box de mon cheval. Qui n'était pas juste à côté.
Une autre fois, ce fut une balle de tennis que je retrouvai dans un coin du box. Je me demande toujours par quelle magie.
Il est arrivé que je la découvre avec une énorme marque de cravache sur la croupe. Et je n'utilisais pas de cravache avec elle. Une marque, quoi. Presque un tatouage, si j'ose dire.
Incident mémorable, ce fut le jour où je vins la voir. J'entrai dans son box, et là, ça me sauta aux yeux.
Plus de crinière.
Coupée, la crinière.
Mon cheval n'avait plus qu'une espèce de brosse sur l'encolure.
Une des Pimbêches (je pense me souvenir qu'elle s'appelait Laura, mais rien n'est sûr) me rejoint, et tout sourire: "C'est joli, hein?
-...quoi?
-Elle est toute mignonne, comme ça! Hein ma Lily!
-C'est vous qui...?
-Orlane et moi, oui!"
Je n'ai jamais réussi à lui répondre. Je n'ai jamais réussi à les insulter. C'est mal, va-t-on me dire. Il faut prendre du recul. Mais cela fait quatre ans, et je ressens tellement le besoin de leurs dire tout ce que je pense d'elles maintenant et que je n'ai jamais réussi à penser avant.
Parce que j'étais trop faible.
Parce qu'il était si facile de me marcher sur les pieds, comme vous pouvez le voir.
Je vins de moins en moins, je commençais à me faire une réputation. la fille qui abandonnait sa ponette. Je venais plusieurs fois pour tomber sur mon cheval en train d'être monté. Et ces filles se justifiaient: "Mais tu viens jamais!"
Ouais.
Défendable.
Ben non.
Je me souviens du jour où je l'ai montée. Je suis passée à côté d'un obstacle. Elle a paniqué, je suis tombée.
C'était minuscule, mais je n'ai plus jamais monté à cheval. Jamais.
Je venais rarement, je ne faisais que la sortir en longe.
A la fin, on l'a vendue. Ça, c'est la version officielle.
En vérité, nous avons payé pour que cette dame la prenne avec elle. Qu'elle l'éloigne, qu'elle l'emmène loin. En effet, Liberty avait le pied pourri, et je ne venais pas assez souvent pour la soigner.
Ouais.
Putain.
Le centre dans laquelle elle l'a emmenée était merveilleux. Grand, bien entretenu, et les chevaux y étaient traité avec énormément de douceur.
je vous dis pas le contraste avec Horse Paradise (changez le nom de votre centre, les gars, sérieux). J'ai su et je sais encore qu'elle doit être bien, là-bas. Mieux qu'avec moi. C'est le seul geste que j'aie jamais pu faire pour qu'elle me pardonne.
Parfois, je me demande si elle pense à moi. Si elle se rappelle. J'espère que non. J'espère qu'elle ne se souvient pas de sa propriétaire qui ne venait jamais la voir, qui n'a jamais cherché à empêcher les autres de s'approcher d'elle, de la frapper, de mettre des trucs insolites dans son box, de couper ses crins.
Parfois, Papa me propose d'aller la voir. D'organiser ça, une fois.
Ça se fera jamais. Ça sera jamais concret.
Et j'ai peur que de nouveau, on me juge. Que l'Ange qui a pris mon cheval son son aile ne me toise en se disant "Mais qui est-elle, cette jeune personne qui n'est pas revenue voir son cheval depuis quatre ans? Qui est-elle?"
J'étais qui, quand j'avais 12 ans? Une victime. Une carpette. Une idiote, aussi, peut-être. Quelqu'un qui pensait plus à elle qu'à ses animaux.
Peut-être quelqu'un de fragilisé par les moqueries des Pimbêches, fragilisée par tous ces actes qui se passaient dans son dos et qu'elle avait peur de découvrir. Fragilisée par l'absence de sa mère qui ne venait jamais la voir monter.
Pourrie je l'étais et le suis toujours.
Mes yeux se posent sur Bess, elle, elle s'en, fout. Elle m'a oubliée. Pour elle, seul mon père existe. Mon père qui est devenu son maître. Pour lui, c'est son chat, et c'est pareil pour tout le monde.
Parfois, j'essaye de la caresser, mais elle se dérobe. Parfois pas. Et dans ces moments-là, je ne saisis pas l'occasion de lui faire plus de câlins. Et la fois suivante, elle se dérobe.
La semaine dernière, mon père est parti en week end. Il m'a dit "Tu pourras nourrir le chat? T'oublie pas, hein? Parce que tu sais, c'est ton chat."
Il a souri, Bess l'a regardé, l'air de dire "Dude, are you kidding?" et moi, j'avais les larmes aux yeux.
Je n'ai pas oublié. J'ai été la voir chaque jour.
Mais maintenant, j'ai compris. Vous savez, il y a cette race de chiens qui m'obsède. Des bergers Groenedael.
Dans mon quartier, il y en a un. Je le trouve magnifique.
Parfois, j'ai envie, un jour, d'en avoir un, quand je vivrai seule.
Sauf que non.
Sauf que non, parce que je ne sais pas m'occuper d'animaux.
J'ai enfin compris, et je pense qu'en écrivant ces mots, je me fais pardonner de Chatouilli, de Lilo, d'Aramis et de Liberty (Bess, elle s'en fout, elle est autiste). Parce que j'ai enfin compris. Il n'y en aura plus d'autres.
Plus jamais je n'abandonnerai mes animaux.
Peut-être me ferai-je bénévole dans un refuge, rien que pour, encore une fois, me faire pardonner de moi-même et des autres, mais jamais je ne prendrai de chien. Ni de chat. Ni d'hamster. Ni de poisson, bordel.
Voilà.
Je vivrai seule, et le chaton mignon d'étudiant, il peut rester où il est.
Bien.
Maintenant, je vais vous laisser, je vais aller faire un câlin à Bess.
Ça ne sera pas de trop.